Mélite (1630)

Table des matières

Contenu
ACTE I
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
ACTE II
Scène I
Scène II
Scène IV
ACTE III
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
ACTE IV
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
ACTE V
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI

Clitandre ou l'Innocence persécutée (1631)

Table des matières

Contenu
ACTE I , SCENE PREMIERE .
ACTE I , SCENE II .
ACTE I , SCENE III .
ACTE I , SCENE IV .
ACTE I , SCENE V .
ACTE I , SCENE VI .
ACTE I , SCENE VII .
ACTE I , SCENE VIII .
ACTE I , SCENE IX .
ACTE II , SCENE PREMIERE .
ACTE II , SCENE II .
ACTE II , SCENE III .
ACTE II , SCENE IV .
ACTE II , SCENE V .
ACTE II , SCENE VI .
ACTE II , SCENE VII .
ACTE II , SCENE VIII .
ACTE III , SCENE PREMIERE .
ACTE III , SCENE II .
ACTE III , SCENE III .
ACTE III , SCENE IV .
ACTE III , SCENE V .
ACTE IV , SCENE PREMIERE .
ACTE IV , SCENE II .
ACTE IV , SCENE III .
ACTE IV , SCENE IV .
ACTE IV , SCENE V .
ACTE IV , SCENE VI .
ACTE IV , SCENE VII .
ACTE IV , SCENE VIII .
ACTE V , SCENE PREMIERE .
ACTE V , SCENE II .
ACTE V , SCENE III .
ACTE V , SCENE IV .
ACTE V , SCENE V .

La Galerie du Palais (1633)

Table des matières

Contenu
ACTE I
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
Scène XI
ACTE II
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
ACTE III
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
Scène XI
Scène XII
ACTE IV
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
Scène XI
Scène XII
Scène XIII
Scène XIV
ACTE V
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII

La Veuve (Corneille) (1632)

Table des matières

Contenu
ACTE I
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène VI
ACTE II
Scène I
Scène II
ACTE III
Scène I
Scène II
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
ACTE IV
Scène I
Scène II
Scène IV
Scène IX
ACTE V
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène VI
Scène VII

La Place Royale

Table des matières

Contenu
ACTE I
Scène I
SCENE II
SCENE III
SCENE IV
ACTE II
Scène première
SCENE II
SCENE III
SCENE IV
SCENE V
SCENE VI
SCENE VII
SCENE VIII
ACTE III
Scène première
SCENE II
SCENE III
SCENE IV
SCENE V
SCENE VI
SCENE VII
SCENE VIII
ACTE IV
Scène première
SCENE II
SCENE III
SCENE IV
SCENE V
SCENE VI
SCENE VII
SCENE VIII
ACTE V
Scène première
SCENE II
SCENE III
SCENE IV
SCENE V
SCENE VI
SCENE VII
SCENE VIII

La Suivante (1634)

Table des matières

Contenu
ACTE I
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
ACTE II
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
ACTE III
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
Scène XI
ACTE IV
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
ACTE V
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX

Médée (1635)

Table des matières

Contenu
ACTE I , SCENE PREMIERE .
ACTE I , SCENE II .
ACTE I , SCENE III .
ACTE I , SCENE IV .
ACTE I , SCENE V .
ACTE II , SCENE PREMIERE .
ACTE II , SCENE II .
ACTE II , SCENE III .
ACTE II , SCENE IV .
ACTE II , SCENE V .
ACTE III , SCENE PREMIERE .
ACTE III , SCENE II .
ACTE III , SCENE III .
ACTE III , SCENE IV .
ACTE IV , SCENE PREMIERE .
ACTE IV , SCENE II .
ACTE IV , SCENE III .
ACTE IV , SCENE IV .
ACTE IV , SCENE V .
ACTE V , SCENE PREMIERE .
ACTE V , SCENE II .
ACTE V , SCENE III .
ACTE V , SCENE IV .
ACTE V , SCENE V .
ACTE V , SCENE VI .
ACTE V , SCENE VII .

L’Illusion comique (1636)

Table des matières

Contenu
ACTE I , SCENE PREMIERE .
ACTE I , SCENE II .
ACTE I , SCENE III .
ACTE II , SCENE PREMIERE .
ACTE II , SCENE II .
ACTE II , SCENE III .
ACTE II , SCENE IV .
ACTE II , SCENE V .
ACTE II , SCENE VI .
ACTE II , SCENE VII .
ACTE II , SCENE VIII .
ACTE II , SCENE IX .
ACTE II , SCENE X .
ACTE III , SCENE PREMIERE .
ACTE III , SCENE II .
ACTE III , SCENE III .
ACTE III , SCENE IV .
ACTE III , SCENE V .
ACTE III , SCENE VI .
ACTE III , SCENE VII .
ACTE III , SCENE VIII .
ACTE III , SCENE IX .
ACTE III , SCENE X .
ACTE III , SCENE XI .
ACTE III , SCENE XII .
ACTE IV , SCENE PREMIERE .
ACTE IV , SCENE II .
ACTE IV , SCENE III .
ACTE IV , SCENE IV .
ACTE IV , SCENE V .
ACTE IV , SCENE VI .
ACTE IV , SCENE VII .
ACTE IV , SCENE VIII .
ACTE IV , SCENE IX .
ACTE IV , SCENE X .
ACTE V , SCENE PREMIERE .
ACTE V , SCENE II .
ACTE V , SCENE III .
ACTE V , SCENE IV .
ACTE V , SCENE V .

Le Cid (1636)

Table des matières

Contenu
ACTE I , SCENE PREMIERE .
ACTE I , SCENE II .
ACTE I , SCENE III .
ACTE I , SCENE IV .
ACTE I , SCENE V .
ACTE I , SCENE VI .
ACTE II , SCENE PREMIERE .
ACTE II , SCENE II .
ACTE II , SCENE III .
ACTE II , SCENE IV .
ACTE II , SCENE V .
ACTE II , SCENE VI .
ACTE II , SCENE VII .
ACTE II , SCENE VIII .
ACTE III , SCENE PREMIERE .
ACTE III , SCENE II .
ACTE III , SCENE III .
ACTE III , SCENE IV .
ACTE III , SCENE V .
ACTE III , SCENE VI .
ACTE IV , SCENE PREMIERE .
ACTE IV , SCENE II .
ACTE IV , SCENE III .
ACTE IV , SCENE IV .
ACTE IV , SCENE V .
ACTE V , SCENE PREMIERE .
ACTE V , SCENE II .
ACTE V , SCENE III .
ACTE V , SCENE IV .
ACTE V , SCENE V .
ACTE V , SCENE VI .
ACTE V , SCENE VII .

ACTE II

Scène I

Table des matières

Éraste

le l’avais bien prévu que ce coeur infidèle Ne se défendrait point des yeux de ma cruelle, Qui traite mille amants avec mille mépris, Et n’a point de faveurs que pour le dernier pris.

Sitôt qu’il l’aborda, je lus sur son visage De sa déloyauté l’infaillible présage; Un inconnu frisson dans mon corps épandu Me donna les avis de ce que j’ai perdu.

Depuis, cette volage évite ma rencontre, Ou si malgré ses soins le hasard me la montre, Si je puis l’aborder, son discours se confond, Son esprit en désordre à peine me répond; Une réflexion vers le traître qu’elle aime, Presque à tous les moments le ramène en lui-même; Et tout rêveur qu’il est, il n’a point de soucis Qu’un soupir ne trahisse au seul nom de Tircis.

Lors, par le prompt effet d’un changement étrange, Son silence rompu se déborde en louange.

Elle remarque en lui tant de perfections, Que les moins éclairés verraient ses passions, Sa bouche ne se plaît qu’en cette flatterie, Et tout autre propos lui rend sa rêverie.

Cependant chaque jour aux discours attachés, Ils ne retiennent plus leurs sentiments cachés Ils ont des rendez-vous où l’amour les assemble; Encore hier sur le soir je les surpris ensemble; Encor tout de nouveau je la vois qui l’attend.

Que cet oeil assuré marque un esprit content!

Perds tout respect, Éraste, et tout soin de lui plaire; Rends, sans plus digérer, ta vengeance exemplaire; Mais il vaut mieux t’en rire, et pour dernier effort Lui montrer en raillant combien elle a de tort.

Scène II

Table des matières

Éraste, Mélite

Éraste

Quoi! seule et sans Tircis! vraiment c’est un prodige, Et ce nouvel amant déjà trop vous néglige, Laissant ainsi couler la belle occasion De vous conter l’excès de son affection.

Mélite

Vous savez que son âme en est fort dépourvue.

Éraste

Toutefois, ce dit-on, depuis qu’il vous a vue, Il en porte dans l’âme un si doux souvenir, Qu’il n’a plus de plaisir qu’à vous entretenir.

Mélite

Il a lieu de s’y plaire avec quelque justice L’amour ainsi qu’à lui me parait un supplice; Et sa froideur, qu’augmente un si lourd entretien, Le résout d’autant mieux à n’aimer jamais rien.

Éraste

Dites: à n’aimer rien que la belle Mélite.

Mélite

Pour tant de vanité j’ai trop peu de mérite.

Éraste

En faut-il tant avoir pour ce nouveau venu?

Mélite

Un peu plus que pour vous.

Éraste

De vrai, j’ai reconnu,

Vous ayant pu servir deux ans, et davantage, Qu’il faut si peu que rien à toucher mon courage.

Mélite

Encor si peu que c’est vous étant refusé, Présumez comme ailleurs vous serez méprisé.

Éraste

Vos mépris ne sont pas de grande conséquence, Et ne vaudront jamais la peine que j’y pense; Sachant qu’il vous voyait, je m’étais bien douté Que je ne serais plus que fort mal écouté.

Mélite

Sans que mes actions de plus près j’examine, A la meilleure humeur je fais meilleure mine, Et s’il m’osait tenir de semblables discours, Nous romprions ensemble avant qu’il fût deux jours.

Éraste

Si chaque objet nouveau de même vous engage, Il changera bientôt d’humeur et de langage.

Caressé maintenant aussitôt qu’aperçu, Qu’aurait-il à se plaindre, étant si bien reçu?

Mélite

Éraste, voyez-vous, trêve de jalousie; Purgez votre cerveau de cette frénésie; Laissez en liberté mes inclinations.

Qui vous a fait censeur de mes affections?

Est-ce à votre chagrin que j’en dois rendre conte?

Éraste

Non, mais j’ai malgré moi pour vous un peu de honte De ce qu’on dit partout du trop de privauté Que déjà vous souffrez à sa témérité.

Mélite

Ne soyez en souci que de ce qui vous touche.

Éraste

Le moyen, sans regret, de vous voir si farouche Aux légitimes voeux de tant de gens d’honneur, Et d’ailleurs” si facile à ceux d’un suborneur?

Mélite

Ce n’est pas contre lui qu’il faut en ma présence Lâcher les traits jaloux de votre médisance.

Adieu: souvenez-vous que ces mots insensés L’avanceront chez moi plus que vous ne pensez.

Scène III

Éraste

C’est là donc ce qu’enfin me gardait ton caprice?

C’est ce que j’ai gagné par deux ans de service?

C’est ainsi que mon feu s’étant trop abaissé, D’un outrageux mépris se voit récompensé?

Tu m’oses préférer un traître qui te flatte; Mais dans ta lâcheté ne crois pas que j’éclate, Et que par la grandeur de mes ressentiments le laisse aller au jour celle de mes tourments.

Un aveu si public qu’en ferait ma colère Enflerait trop l’orgueil de ton âme légère, Et me convaincrait trop de ce désir abjet Qui m’a fait soupirer pour un indigne objet.

je saurai me venger, mais avec l’apparence De n’avoir pour tous deux que de l’indifférence.

Il fut toujours permis de tirer sa raison D’une infidélité par une trahison.

Tiens, déloyal ami, tiens ton âme assurée Que ton heur surprenant aura peu de durée, Et que par une adresse égale à tes forfaits Je mettrai le désordre où tu crois voir la paix.

‘esprit fourbe et vénal d’un voisin de Mélite Donnera prompte issue à ce que je médite.

A servir qui l’achète il est toujours tout prêt, Et ne voit rien d’injuste où brille l’intérêt.

Allons sans perdre temps lui payer ma vengeance, Et la pistole en main presser sa diligence.

Scène IV

Table des matières

Tircis, Cloris

Tircis

Ma soeur, un mot d’avis sur un méchant sonnet Que je viens de brouiller’ dedans mon cabinet.

Cloris

C’est à quelque beauté que ta muse l’adresse?

Tircis

En faveur d’un ami je flatte sa maîtresse.

Vois si tu le connais, et si, parlant pour lui, J’ai su m’accommoder aux passions d’autrui.

Sonnet

Après l’oeil de Mélite il n’est rien d’admirable…

Cloris

Ah! frère, il n’en faut plus.

Tircis

Tu n’es pas supportable

De me rompre sitôt.

Cloris

C’était sans y penser;

Achève.

Tircis

Tais-toi donc, je vais recommencer.

Sonnet

Après l’oeil de Mélite il n’est rien d’admirable; Il n’est rien de solide après ma loyauté.

Mon feu, comme ion teint, je rend incomparable, Et je suis en amour ce qu’elle est en beauté.

 

Quoi que puisse à mes sens offrir la nouveauté, Mon coeur à tous ses traits demeure invulnérable, Et bien qu’elle ait au sien la même cruauté, Ma foi pour ses rigueurs n’en est pas moins durable.

 

C’est donc avec raison que mon extrême ardeur Trouve chez cette belle une extrême froideur, Et que sans être aimé je brûle pour Mélite;

Car de ce que lei Dieux, nous envoyant au jour, Donnèrent pour nous deux d’amour et de mérite, Elle a tout le mérite, et moi j’ai tout l’amour.

Cloris

Tu l’as fait pour Éraste?

Tircis

Oui, j’ai dépeint sa flamme.

Cloris

Comme tu la ressens peut-être dans ton âme?

Tircis

Tu sais mieux qui je suis, et que ma libre humeur N’a de part en mes vers que celle de rimeur.

Cloris

Pauvre frère, vois-tu, ton silence t’abuse; De la langue ou des yeux, n’importe qui t’accuse Les tiens m’avaient bien dit malgré toi que ton coeur Soupirait sous les lois de quelque objet vainqueur; Mais j’ignorais encor qui tenait ta franchise, Et le nom de Mélite a causé ma surprise, Sitôt qu’au premier vers ton sonnet m’a fait voir Ce que depuis huit jours je brûlais de savoir.

Tircis

Tu crois donc que j’en tiens?

Cloris

Fort avant.

Tircis

Pour Mélite?

Cloris

Pour Mélite, et de plus que ta flamme n’excite Au coeur de cette belle aucun embrasement.

Tircis

Qui t’en a tant appris? mon sonnet?

Cloris

Justement.

Tircis

Et c’est ce qui te trompe avec tes conjectures, Et par où ta finesse a mal pris ses mesures.

Un visage jamais ne m’aurait arrêté, S’il fallait que l’amour fût tout de mon côté.

Ma rime seulement est un portrait fidèle De ce qu’Éraste souffre en servant cette belle; Mais quand je l’entretiens de mon affection, J’en ai toujours assez de satisfaction.

Cloris

Montre, si tu dis vrai, quelque peu plus de joie, Et rends-toi moins rêveur, afin que je te croie.

Tircis

je rêve, et mon esprit ne s’en peut exempter; Car sitôt que je viens à me représenter Qu’une vieille amitié de mon amour s’irrite, Qu’Éraste s’en offense et s’oppose à Mélite, Tantôt je suis ami, tantôt je suis rival, Et toujours balancé d’un contre-poids égal, J’ai honte de me voir insensible, ou perfide Si l’amour m’enhardit, l’amitié m’intimide.

Entre ces mouvements mon esprit partagé Ne sait duquel des deux il doit prendre congé.

Cloris

Voilà bien des détours pour dire, au bout du conte, Que c’est contre ton gré que l’amour te surmonte.

Tu présumes par là me le persuader; Mais ce n’est pas ainsi qu’on m’en donne à garder.

A la mode du temps, quand nous servons quelque autre, C’est seulement alors qu’il n’y va rien du nôtre.

Chacun en son affaire est son meilleur ami, Et tout autre intérêt ne touche qu’à demi.

Tircis

Que du foudre à tes yeux j’éprouve la furie, Si rien que ce rival cause ma rêverie!

Cloris

C’est donc assurément son bien qui t’est suspect Son bien te fait rêver, et non pas son respect, Et toute amitié bas, tu crains que sa richesse En dépit de tes feux n’obtienne ta maîtresse.

Tircis

Tu devines, ma soeur: cela me fait mourir.

Cloris

Ce sont vaines frayeurs dont je veux te guérir.

Depuis quand ton Éraste en tient-il pour Mélite?

Tircis

Il rend depuis deux ans hommage à son mérite.

Cloris

Mais dit-il les grands mots? parle-t-il d’épouser?

Tircis

Presque à chaque moment.

Cloris

Laisse-le donc jaser.

Ce malheureux amant ne vaut pas qu’on le craigne; Quelque riche qu’il soit, Mélite le dédaigne: Puisqu’on voit sans effet deux ans d’affection, Tu ne dois plus douter de son aversion; Le temps ne la rendra que plus grande et plus forte.

On prend soudain au mot les hommes de sa sorte, Et sans rien hasarder à la moindre longueur, On leur donne la main dès qu’ils offrent le coeur.

Tircis

Sa mère peut agir de puissance absolue.

Cloris

Crois que déjà l’affaire en serait résolue, Et qu’il aurait déjà de quoi se contenter, Si sa mère était femme à la violenter.

Tircis

Ma crainte diminue et ma douleur s’apaise; Mais si je t’abandonne, excuse mon trop d’aise.

Avec cette lumière et ma dextérité, J’en veux aller savoir toute la vérité.

Adieu.

Cloris

Moi, je m’en vais paisiblement attendre Le retour désiré du paresseux Philandre.

Un moment de froideur lui fera souvenir Qu’il faut une autre fois tarder moins à venir.

Scène V

Éraste, Cliton

Éraste, lui donnant une lettre.

Va-t’en chercher Philandre, et dis-lui que Mélite A dedans ce billet sa passion décrite; Dis-lui que sa pudeur ne saurait plus cacher Un feu qui la consume et qu’elle tient si cher.

Mais prends garde surtout à bien jouer ton rôle Remarque sa couleur, son maintien, sa parole; Vois si dans la lecture un peu d’émotion Ne te montrera rien de son intention.

Cliton

Cela vaut fait, Monsieur.

Éraste

Mais après ce message,

Sache avec tant d’adresse ébranler son courage, Que tu viennes à bout de sa fidélité.

Cliton

Monsieur, reposez-vous sur ma subtilité; Il faudra malgré lui qu’il donne dans le piège Ma tête sur ce point vous servira de piège; Mais aussi vous savez…

Éraste

Oui, va, sois diligent.

Ces âmes du commun n’ont pour but que l’argent; Et je n’ai que trop vu par mon expérience…

Mais tu reviens bientôt?

Cliton

Donnez-vous patience,

Monsieur; il ne nous faut qu’un moment de loisir, Et vous pourrez vous-même en avoir le plaisir.

Éraste

Comment?

Cliton

De ce carfour j’ai vu venir Philandre.

Cachez-vous en ce coin, et de là sachez prendre L’occasion commode à seconder mes coups: Par là nous le tenons. Le voici; sauvez-vous.

Scène VI

Philandre, Éraste, Cliton

 

Philandre (Éraste est caché et les écoute.) Quelle réception me fera ma maîtresse?

Le moyen d’excuser une telle paresse!

Cliton

Monsieur, tout à propos je vous rencontre ici, Expressément chargé de vous rendre ceci.

Philandre

Qui est-ce?

Cliton

Vous allez voir, en lisant cette lettre, Ce qu’un homme jamais n’oserait se promettre.

Ouvrez-la seulement.

Philandre

Va. tu n’es qu’un conteur.

Cliton

Je veux mourir au cas qu’on me trouve menteur.

Lettre supposée de Mélite à Philandre.

Malgré le devoir et la bienséance du sexe, celle-ci m’échappe en faveur de vos mérites pour vous apprendre que c’est Mélite qui vous écrit, et qui voué aime. Si elle est assez heureuse pour recevoir de vous une réciproque affections contentez-vous de cet entretien par lettres, jusqu’à ce qu’elle ait été de l’esprit de sa mère quelques personnes qui n’y sont que trop bien pour son contentement.

 

Éraste, feignant d’avoir lu la lettre par-dessus son épaule.

C’est donc la vérité que la belle Mélite Fait du brave Philandre une louable élite, Et qu’il obtient ainsi de sa seule vertu Ce qu’Éraste et Tircis ont en vain débattu!

Vraiment dans un tel choix mon regret diminue; Outre qu’une froideur depuis peu survenue, De tant de voeux perdus ayant su me lasser, N’attendait qu’un prétexte à m’en débarrasser.

Philandre

Me dis-tu que Tircis brûle pour cette belle?

Éraste

Il en meurt.

Philandre

Ce courage à l’amour si rebelle?

Éraste

Lui-même.

Philandre

Si ton coeur ne tient plus qu’à demi, Tu peux le retirer en faveur d’un ami; Sinon, pour mon regard ne cesse de prétendre Étant pris une fois, je ne suis plus à prendre.

Tout ce que je puis faire à ce beau feu naissant, C’est de m’en revancher par un zèle impuissant; Et ma Cloris la prie, afin de s’en distraire, De tourner, s’il se peut, sa flamme vers son frère.

Éraste

Auprès de sa beauté qu’est-ce que ta Cloris?

Philandre

Un peu plus de respect pour ce que je chéris.

Éraste

le veux qu’elle ait en soi quelque chose d’aimable; Mais enfin à Mélite est-elle comparable?

Philandre

Qu’elle le soit ou non, je n’examine pas Si des deux l’une ou l’autre a plus ou moins d’appas.

J’aime l’une; et mon coeur pour toute autre insensible…

Éraste

Avise toutefois, le prétexte est plausible.

Philandre

J’en serais mal voulu des hommes et des Dieux.

Éraste

On pardonne aisément à qui trouve son mieux.

Philandre

Mais en quoi gît ce mieux?

Éraste

En esprit, en richesse.

Philandre

Ô le honteux motif à changer de maîtresse!

Éraste

En amour.

Philandre

Cloris m’aime, et si je m’ y connoi, Rien ne peut égaler celui qu’elle a pour moi.

Éraste

Tu te détromperas, si tu veux prendre garde A ce qu’à ton sujet l’une et l’autre hasarde.

L’une en t’aimant s’expose au péril d’un mépris; L’autre ne t’aime point que tu n’en sois épris: L’une t’aime engagé vers une autre moins belle; L’autre se rend sensible à qui n’aime rien qu’elle L’une au desçu des siens te montre son ardeur Et l’autre après leur choix quitte un peu sa froideur; L’une…

Philandre

Adieu des raisons de si peu d’importance Ne pourraient en un siècle ébranler ma constance.

Il dit ce vers à Cliton tout bas.

Dans deux heures d’ici tu viendras me revoir.

Cliton

Disposez librement de mon petit pouvoir.

Éraste, seul

Il a beau déguiser, il a goûté l’amorce; Cloris déjà sur lui n’a presque plus de force Ainsi je suis deux fois vengé du ravisseur, Ruinant tout ensemble et le frère et la soeur.

Scène VII

Tircis, Éraste, Mélite

Tircis

Éraste, arrête un peu.

Éraste

Que me veux-tu?

Tircis

Te rendre

Ce sonnet que pour toi j’ai promis d’entreprendre.

 

Mélite, au travers d’une jalousie, cependant qu’Éraste lit le sonnet.

Que font-ils là tous deux? qu’ont-ils à démêler?

Ce jaloux à la fin le pourra quereller: Du moins les compliments, dont peut-être ils se jouent, Sont des civilités qu’en l’âme ils désavouent.

Tircis

J’y donne une raison de ton sort inhumain.

Allons, je le veux voir présenter de ta main A ce charmant objet dont ton âme est blessée.

 

Éraste, lui rendant son sonnet.

Une autre fois, Tircis; quelque affaire pressée Fait que je ne saurais pour l’heure m’en charger.

Tu trouveras ailleurs un meilleur messager.

Tircis, seul

La belle humeur de l’homme! Ô Dieux, quel personnage!

Quel ami j’avais fait de ce plaisant visage!

Une mine froncée, un regard de travers, C’est le remercîment que j’aurai de mes vers.

le manque, à son avis, d’assurance ou d’adresse, Pour les donner moi-même à sa jeune maîtresse, Et prendre ainsi le temps de dire à sa beauté L’empire que ses yeux ont sur ma liberté.

je pense l’entrevoir par cette jalousie: Oui, mon âme de joie en est toute saisie.

Hélas! et le moyen de pouvoir lui parler, Si mon premier aspect l’oblige à s’en aller?

Que cette joie est courte, et qu’elle est cher vendue!

Toutefois tout va bien, la voilà descendue.

Ses regards pleins de feu s’entendent avec moi; Que dis-je? en s’avançant elle m’appelle à soi.

Scène VIII

Mélite, Tircis

Mélite

Eh bien! qu’avez-vous fait de votre compagnie?

Tircis

Je ne puis rien juger de ce qui la bannie A peine ai-je eu loisir de lui dire deux mots, Qu’aussitôt le fantasque, en me tournant le dos, S’est échappé de moi.

Mélite

Sans doute il m’aura vue, Et c’est de là que vient cette fuite imprévue.

Tircis

Vous aimant comme il fait, qui l’eût jamais pensé?

Mélite

Vous ne savez donc rien de ce qui s’est passé?

Tircis

J’aimerais beaucoup mieux savoir ce qui se passe, Et la part qu’a Tircis en votre bonne grâce.

Mélite

Meilleure aucunement qu’Éraste ne voudrait.

je n’ai jamais connu d’amant si maladroit; Il ne saurait souffrir qu’autre que lui m’approche.

Dieux! qu’à votre sujet il m’a fait de reproche!

Vous ne sauriez me voir sans le désobliger.

Tircis

Et de tous mes soucis c’est là le plus léger.

Toute une légion de rivaux de sa sorte Ne divertirait pas l’amour que je vous porte, Qui ne craindra jamais les humeurs d’un jaloux.

Mélite

Aussi le croit-il bien, ou je me trompe.

Tircis

Et vous?

Mélite

Bien que cette croyance à quelque erreur m’expose, Pour lui faire dépit, j’en croirai quelque chose.

Tircis

Mais afin qu’il reçût un entier déplaisir, Il faudrait que nos coeurs n’eussent plus qu’un désir, Et quitter ces discours de volontés sujettes”, Qui ne sont point de mise en l’état où vous êtes.

Vous-même consultez un moment vos appas; Songez à leurs effets, et ne présumez pas Avoir sur tous les coeurs un pouvoir si suprême, Sans qu’il vous soit permis d’en user sur vous-même.

Un si digne sujet ne reçoit point de loi, De règle, ni d’avis, d’un autre que de soi.

Mélite

Ton mérite, plus fort que ta raison flatteuse, Me rend, je le confesse, un peu moins scrupuleuse.

je dois tout à ma mère, et pour tout autre amant je voudrais tout remettre à son commandement; Mais attendre pour toi l’effet de sa puissance, Sans te rien témoigner que par obéissance, Tircis, ce serait trop: tes rares qualités Dispensent mon devoir de ces formalités.

Tircis

Que d’amour et de joie un tel aveu me donne!

Mélite

C’est peut-être en trop dire, et me montrer trop bonne; Mais par là tu peux voir que mon affection Prend confiance entière en ta discrétion.

Tircis

Vous la verrez toujours dans un respect sincère Attacher mon bonheur à celui de vous plaire, N’avoir point d’autre soin, n’avoir point d’autre esprit; Et si Vous en voulez un serment par écrit, Ce sonnet que pour vous vient de tracer ma flamme, Vous fera voir à nu jusqu’au fond de mon âme.

Mélite

Garde bien ton sonnet, et pense qu’aujourd’hui Mélite veut te croire autant et plus que lui.

je le prends toutefois comme un précieux gage Du pouvoir que mes yeux ont pris sur ton courage.

Adieu: sois-moi fidèle en dépit du jaloux.

Tircis

Ô ciel! jamais amant eut-il un sort plus doux!

ACTE I

Scène I

Table des matières

Éraste, Tircis

Éraste

Je te l’avoue, ami, mon mal est incurable; Je n’y sais qu’un remède, et j’en suis incapable Le change serait juste, après tant de rigueur; Mais malgré ses dédains, Mélite a tout mon coeur; Elle a sur tous mes sens une entière puissance; Si j’ose en murmurer, ce n’est qu’en son absence, Et je ménage en vain dans un éloignement Un peu de liberté pour mon ressentiment D’un seul de ses regards l’adorable contrainte Me rend tous mes liens, en resserre l’étreinte, Et par un si doux charme aveugle ma raison, Que je cherche mon mal et fuis ma guérison.

Son oeil agit sur moi d’une vertu si forte, Qu’il ranime soudain mon espérance morte, Combat les déplaisirs de mon coeur irrité, Et soutient mon amour contre sa cruauté; Mais ce flatteur espoir qu’il rejette en mon âme N’est qu’un doux imposteur qu’autorise ma flamme, Et qui, sans m’assurer ce qu’il semble m’offrir, Me fait plaire en ma peine, et m’obstine à souffrir.

Tircis

Que je te trouve, ami, d’une humeur admirable!

Pour paraître éloquent tu te feins misérable: Est-ce à dessein de voir avec quelles couleurs saurais adoucir les traits de tes malheurs?

e t’imagine pas qu’ainsi sur ta parole, D’une fausse douleur un ami te console: Ce que chacun en dit ne m’a que trop appris Que Mélite pour toi n’eut jamais de mépris.

Éraste

Son gracieux accueil et ma persévérance Font naître ce faux bruit d’une vaine apparence Ses mépris sont cachés, et s’en font mieux sentir, Et n’étant point connus, on n’y peut compatir.

Tircis

En étant bien reçu, du reste que t’importe?

C’est tout ce que tu veux des filles de sa sorte.

Éraste

Cet accès favorable, ouvert et libre à tous, Ne me fait pas trouver mon martyre plus doux Elle souffre aisément mes soins et mon service; Mais loin de se résoudre à leur rendre justice, Parler de l’hyménée à ce coeur de rocher, C’est l’unique moyen de n’en plus approcher.

Tircis

Ne dissimulons point; tu règles mieux ta flamme, Et tu n’es pas si fou que d’en faire ta femme.

Éraste

Quoi! tu sembles douter de mes intentions?

Tircis

Je crois malaisément que tes affections, Sur l’éclat d’un beau teint qu’on voit si périssable, Règlent d’une moitié le choix invariable.

Tu serais incivil de la voir chaque jour Et ne lui pas tenir quelque propos d’amour; Mais d’un vain compliment ta passion bornée Laisse aller tes desseins ailleurs pour l’hyménée.

Tu sais qu’on te souhaite aux plus riches maisons, Que les meilleurs partis…

Éraste

Trêve de ces raisons;

Mon amour s’en offense, et tiendrait pour supplice De recevoir des lois d’une sale avarice; Il me rend insensible aux faux attraits de l’or, Et trouve en sa personne un assez grand trésor.

Tircis

Si c’est là le chemin qu’en aimant tu veux suivre, Tu ne sais guère encor ce que c’est que de vivre.

Ces visages d’éclat sont bons à cajoler, C’est là qu’un apprenti£, doit s’instruire à parler; J’aime à remplir de feux ma bouche en leur présence; La mode nous oblige à cette complaisance; Tous ces discours de livre alors sont de saison Il faut feindre des maux, demander guérison, Donner sur le phébus, promettre des miracles; jurer qu’on brisera toutes sortes d’obstacles; Mais du vent et cela doivent être tout un.

Éraste

Passe pour des beautés qui sont dans le commun C’est ainsi qu’autrefois j’amusai Crisolite; Mais c’est d’autre façon qu’on doit servir Mélite.

Malgré tes sentiments, il me faut accorder Que le souverain bien n’est qu’à la posséder.

Le jour qu’elle naquit, Vénus, bien qu’immortelle, Pensa mourir de honte en la voyant si belle; Les Grâces, à l’envi, descendirent des cieux, Pour se donner l’honneur d’accompagner ses yeux; Et l’Amour, qui ne put entrer dans son courage, Voulut obstinément loger sur son visage.

Tircis

Tu le prends d’un haut ton, et je crois qu’au besoin Ce discours emphatique irait encor bien loin.

Pauvre amant, je te plains, qui ne sais pas encore Que bien qu’une beauté mérite qu’on l’adore, Pour en perdre le goût, on n’a qu’à l’épouser.

Un bien qui nous est dû se fait si peu priser, Qu’une femme fût-elle entre toutes choisie, On en voit en six mois passer la fantaisie.

Tel au bout de ce temps n’en voit plus la beauté Qu’avec un esprit sombre, inquiet, agité; Au premier qui lui parle ou jette l’oeil sur elle, Mille sottes frayeurs lui brouillent la cervelle; Ce n’est plus lors qu’une aide à faire un favori, Un charme pour tout autre, et non pour un mari.

Éraste

Ces caprices honteux: et ces chimères vaines Ne sauraient ébranler des cervelles bien saines, Et quiconque a su prendre une fille d’honneur N’a point à redouter l’appas d’un suborneur.

Tircis

Peut-être dis-tu vrai; mais ce choix difficile Assez et trop souvent trompe le plus habile, Et l’hymen de soi-même est un si lourd fardeau, Qu’il faut l’appréhender à l’égal du tombeau.

S’attacher pour jamais aux côtés d’une femme!

Perdre pour des enfants le repos de son âme!

Voir leur nombre importun remplir une maison!

Ah! qu’on aime ce joug avec peu de raison!

Éraste

Mais il y faut venir; c’est en vain qu’on recule, C’est en vain qu’on refuit’, tôt ou tard on s’y brûle; Pour libertin qu’on soit, on s’y trouve attrapé: Toi-même, qui fais tant le cheval échappé, Nous te verrons un jour songer au mariage.

Tircis

Alors ne pense pas que j’épouse un visage le règle mes désirs suivant mon intérêt.

Si Doris me voulait, toute laide qu’elle est, je l’estimerais plus qu’Aminte et qu’Hippolyte; Son revenu chez moi tiendrait lieu de mérite: C’est comme il faut aimer. L’abondance des biens Pour l’amour conjugal a de puissants liens: La beauté, les attraits, l’esprit, la bonne mine, Échauffent bien le coeur, mais non pas la cuisine; Et l’hymen qui succède à ces folles amours, Après quelques douceurs, a bien de mauvais jours.

Une amitié si longue est fort mal assurée Dessus des fondements de si peu de durée.

L’argent dans le ménage a certaine splendeur Qui donne un teint d’éclat à la même laideur; Et tu ne peux trouver de si douces caresses Dont le goût dure autant que celui des richesses.

Éraste

Auprès de ce bel oeil qui tient mes sens ravis, A peine pourrais-tu conserver ton avis.

Tircis

La raison en tous lieux est également forte.

Éraste

L’essai n’en coûte rien: Mélite est à sa porte; Allons, et tu verras dans ses aimables traits Tant de charmants appas, tant de brillants attraits, Que tu seras forcé toi-même à reconnaître Que si je suis un fou, j’ai bien raison de l’être.

Tircis

Allons et tu verras que toute sa beauté Ne saura me tourner contre la vérité.

Scène II

Table des matières

Mélite, Éraste, Tircis

Éraste

De deux amis, Madame, apaisez la querelle.

Un esclave d’Amour le défend d’un rebelle, Si toutefois un coeur qui n’a jamais aimé, Fier et vain qu’il en est, peut être ainsi nommé.

Comme dès le moment que je vous ai servie, J’ai cru qu’il était seul la véritable vie, Il n’est pas merveilleux que ce peu de rapport Entre nos deux esprits sème quelque discord.

je me suis donc piqué contre sa médisance, Avec tant de malheur ou tant d’insuffisance, Que des droits si sacrés et si pleins d’équité N’ont pu se garantir de sa subtilité, Et je l’amène ici, n’ayant plus que répondre, Assuré que vos yeux le sauront mieux confondre.

Mélite

Vous deviez l’assurer plutôt qu’il trouverait En ce mépris d’Amour qui le seconderait.

Tircis

Si le coeur ne dédit ce que la bouche exprime, Et ne fait de l’amour une plus haute estime, je plains les malheureux: à qui vous en donnez, Comme à d’étranges maux par leur sort destinés.

Mélite

Ce reproche sans cause avec raison m’étonne.

je ne reçois d’amour et n’en donne à personne.

Les moyens de donner ce que je n’eus jamais?

Éraste

Ils vous sont trop aisés, et par vous désormais La nature pour moi montre son injustice A pervertir son cours pour me faire un supplice.

Mélite

Supplice imaginaire, et qui sent son moqueur.

Éraste

Supplice qui déchire et mon âme et mon coeur.

Mélite

Il est rare qu’on porte avec si bon visage L’âme et le coeur ensemble en si triste équipage.

Éraste

Votre charmant aspect suspendant mes douleurs, Mon visage du vôtre emprunte les couleurs.

Mélite

Faites mieux: pour finir vos maux et votre flamme, Empruntez tout d’un temps les froideurs de mon âme.

Éraste

Vous voyant, les froideurs perdent tout leur pouvoir, Et vous n’en conservez que faute de vous voir.

Mélite

Et quoi! tous les, miroirs ont-ils de fausses glaces?

Éraste

Penseriez-vous y voir la moindre de vos grâces?

De si frêles sujets ne sauraient exprimer Ce que l’amour aux coeurs peut lui seul imprimer, Et quand vous en voudrez croire leur impuissance, Cette légère idée et faible connaissance Que vous aurez par eux de tant de raretés Vous mettra hors du pair de toutes les beautés.

Mélite

Voilà trop vous tenir dans une complaisance Que vous dussiez quitter, du moins en ma présence, Et ne démentir pas le rapport de vos yeux, Afin d’avoir sujet de m’entreprendre mieux.

Éraste

Le rapport de mes yeux, aux dépens de mes larmes, Ne m’a que trop appris le pouvoir de vos charmes.

Tircis

Sur peine d’être ingrate, il faut de votre part Reconnaître les dons que le ciel vous départ.

Éraste

Voyez que d’un second mon droit se fortifie.

Mélite

Voyez que son secours montre qu’il s’en défie.

Tircis

je me range toujours avec la vérité.

Mélite

Si vous la voulez suivre, elle est de mon côté.

Tircis

Oui, sur votre visage, et non en vos paroles.

Mais cessez de chercher ces refuites frivoles, Et prenant désormais des sentiments plus doux, Ne soyez plus de glace à qui brûle pour vous.

Mélite

Un ennemi d’Amour me tenir ce langage!

Accordez votre bouche avec votre courage; Pratiquez vos conseils, ou ne m’en donnez pas.

Tircis

J’ai connu mon erreur auprès de vos appas Il vous l’avait bien dit.

Éraste

Ainsi donc, par l’issue

Mon âme sur ce point n’a point été déçue?

Tircis

Si tes feux en son coeur produisaient même effet, Crois-moi que ton bonheur serait bientôt parfait.

Mélite

Pour voir si peu de chose aussitôt vous dédire Me donne à vos dépens de beaux sujets de rire; Mais je pourrais bientôt, à m’entendre flatter, Concevoir quelque orgueil qu’il vaut mieux éviter.

Excusez ma retraite.

Éraste

Adieu, belle inhumaine,

De qui seule dépend et ma joie et ma peine.

Mélite

Plus sage à l’avenir, quittez ces vains propos, Et laissez votre esprit et le mien en repos.

Scène III

Table des matières

Éraste, Tircis

Éraste

Maintenant suis-je un fou? mérité-je du blâme?

Que dis-tu de l’objet? que dis-tu de ma flamme?

Tircis

Que veux-tu que j’en die? elle a je ne sais quoi Qui ne peut consentir que l’on demeure à soi.

Mon coeur, jusqu’à présent à l’amour invincible, Ne se maintient qu’à force aux termes d’insensible; Tout autre que Tircis mourrait pour la servir.

Éraste

Confesse franchement qu’elle a su te ravir, Mais que tu ne veux pas prendre pour cette belle Avec le nom d’amant le titre d’infidèle.

Rien que notre amitié ne t’en peut détourner; Mais ta muse du moins, facile à suborner, Avec plaisir déjà prépare quelques veilles A de puissants efforts pour de telles merveilles.

Tircis

En effet, ayant vu tant et de tels appas, Que je ne rime point, je ne le promets pas.

Éraste

Tes feux n’iront-ils point plus avant que la rime?

Tircis

Si je brûle jamais, je veux brûler sans crime.

Éraste

Mais si sans y penser tu te trouvais surpris?

Tircis

Quitte pour décharger mon coeur dans mes écrits.

J’aime bien ces discours de plaintes et d’alarmes, De soupirs, de sanglots, de tourments et de larmes C’est de quoi fort souvent je bâtis ma chanson; Mais j’en connais, sans plus, la cadence et le son.

Souffre qu’en un sonnet je m’efforce à dépeindre Cet agréable feu que tu ne peux éteindre; Tu le pourras donner comme venant de toi.

Éraste

Ainsi ce coeur d’acier qui me tient sous sa loi Verra ma passion pour le moins en peinture.

le doute néanmoins qu’en cette portraiture Tu ne suives plutôt tes propres sentiments.

Tircis

Me prépare le ciel de nouveaux châtiments, Si jamais un tel crime entre dans mon courage!

Éraste

Adieu. je suis content, j’ai ta parole en gage, Et sais trop que l’honneur t’en fera souvenir.

 

Tircis, seul.

En matière d’amour rien n’oblige à tenir; Et les meilleurs amis, lorsque son feu les presse, Font bientôt vanité d’oublier leur promesse.

Scène IV

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Philandre, CLORIS

Philandre

je meure, mon souci, tu dois bien me haïr Tous mes soins depuis peu ne vont qu’à te trahir.

Cloris

Ne m’épouvante point: à ta mine, je pense Que le pardon suivra de fort près cette offense, Sitôt que j’aurai su quel est ce mauvais tour.

Philandre

Sache donc qu’il ne vient sinon de trop d’amour.

Cloris

eusse osé le gager qu’ainsi par quelque ruse on crime officieux porterait son excuse.

Philandre

Ton adorable objet, mon unique vainqueur, Fait naître chaque jour tant de feux en mon coeur, Que leur excès m’accable, et que pour m’en défaire J’y cherche des défauts qui puissent me déplaire.

J’examine ton teint dont l’éclat me surprit, Les traits de ton visage, et ceux de ton esprit; Mais je n’en puis trouver un seul qui ne me charme.

Cloris

Et moi, je suis ravie, après ce peu d’alarme, Qu’ainsi tes sens trompés te puissent obliger A chérir ta Cloris, et jamais ne changer.

Philandre

Ta beauté te répond de ma persévérance, Et ma foi qui t’en donne une entière assurance.

Cloris

Voilà fort doucement dire que sans ta foi Ma beauté ne pourrait te conserver à moi.

Philandre

je traiterais trop mal une telle maîtresse De l’aimer seulement pour tenir ma promesse Ma passion en est la cause, et non l’effet; Outre que tu n’as rien qui ne soit si parfait, Qu’on ne peut te servir sans voir sur ton visage De quoi rendre constant l’esprit le plus volage.

Cloris

Ne m’en conte point tant de ma perfection Tu dois être assuré de mon affection, Et tu perds tout l’effort de ta galanterie, Si tu crois l’augmenter par une flatterie.

Une fausse louange est un blâme secret je suis belle à tes yeux; il suffit, sois discret; C’est mon plus grand bonheur, et le seul où j’aspire.

Philandre

Tu sais adroitement adoucir mon martyre; Mais parmi les plaisirs qu’avec toi je ressens, A peine mon esprit ose croire mes sens, Toujours entre la crainte et l’espoir en balance, Car s’il faut que l’amour naisse de ressemblance, Mes imperfections nous éloignant si fort, Qui oserais-je prétendre en ce peu de rapport?

Cloris

Du moins ne prétends pas qu’à présent je te loue, Et qu’un mépris rusé, que ton coeur désavoue, Me mette sur la langue un babil affété, Pour te rendre à mon tour ce que tu m’as prêté Au contraire, je veux que tout le monde sache Que je connais -en toi des défauts que je cache.

Quiconque avec raison peut être négligé A qui le veut aimer est bien plus obligé.

Philandre

Quant à toi, tu te crois de beaucoup plus aimable?

Cloris

Sans doute; et qu’aurais-tu qui me fût comparable?

Philandre

Regarde dans mes yeux, et reconnais qu’en moi On peut voir quelque chose aussi parfait que toi.

Cloris

C’est sans difficulté, m’y voyant exprimée.

Philandre

Quitte ce vain orgueil dont ta vue est charmée.